Les aveux du tueur communiste Cesare Battisti ont plongé la gauche bienpensante française et la boboïtude en général dans le plus profond désarroi. Toujours prêts à mouiller la chemise pour défendre les révolutionnaires marxistes de tout poil, ces « intellectuels » se retrouvent face à leurs mensonges et à leur aveuglement. Le quotidien Libération, des plus ardents défenseurs de Battisti, se livre à une forme d’auto-critique.

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Porte-voix de la gauche militant, Libération a suivi l’évolution de son lectorat. Jeunes, ils défendaient la révolution et la destruction de l’ordre bourgeois. Devenus riches et proches de la retraite, ils se rapprochent des avleurs bourgeoises qu’ils haissaient jadis, mais en ayant de coupables indulgences pour des régurgitations de leur passé activiste. La défense par le quotidien du tueur communiste Cesare Battiste reste une tache sur l’histoire de Libération. Son directeu actuel, Laurent Joffrin et un journaliste tentent un mea culpa. Extraits.

Laurent Joffrin, le directeur de Libération, incarne le visage bourgeois et libéral de la version actuelle du quotidien, en accord avec l’évolution de son lectorat et de son actionnariat.

Dans sa Lettre politique, Laurent Joffrin écrit :

 

Errements de la gauche intellectuelle… Il y a quelques années, une escouade d’écrivains, de penseurs et d’artistes se sont mobilisés en faveur de Cesare Battisti, condamné en Italie pour quatre meurtres dont on l’accusait d’être l’auteur ou le complice. L’affaire donna lieu à de nombreux textes indignés ou sarcastiques dirigés contre les autorités italiennes, puis françaises, quand il a été question d’extrader Battisti. Las ! Non seulement la justice italienne a démontré qu’elle avait contre lui un dossier solide, mais l’intéressé lui-même a admis samedi, après avoir clamé son innocence pendant quelque trente années, qu’il était bien le meurtrier désigné par les juges. Terrible contre-pied.

La mort de Pierre Goldman a fait la une de Libération. Le quotidien n’avait pas les mêmes priorités pour les victimes des tueurs communistes.

On se gardera de toute vindicte envers un homme désormais emprisonné, probablement pour le restant de ses jours. En revanche, comment ne pas reconnaître pour ce qui concerne la France que cette mobilisation, après avoir occupé un large espace médiatique, avait quelque chose de gravement frivole, ou bien de dangereusement naïf ? Certains ont défendu Battisti – Libération notamment – au nom du respect de la parole de la France. Le président Mitterrand avant en effet, au début des années 80, statué à des fins d’apaisement que les Italiens poursuivis en Italie et réfugiés en France ne seraient pas extradés, à condition qu’ils n’aient pas de sang sur les mains et qu’ils aient renoncé à toute lutte armée. Jacques Chirac en avait décidé autrement et Battisti avait de nouveau pris la fuite.

La lutte contre la peine de mort était un des thèmes majeurs de Libération. Mais pas quand il s’agissait des peines de mort prononcées et exécutées par des groupuscules marxistes.

La défense de Battisti par un certain nombre de pétitionnaires allait plus loin : elle consistait aussi à postuler – ou à suggérer fortement – son innocence et à accuser la justice italienne de décisions expéditives et mal fondées. Les connaisseurs de la vie italienne étaient beaucoup plus prudents – notamment le correspondant de Libération à Rome, Eric Joszef – et faisaient remarquer que les charges pesant sur le terroriste présumé (et désormais avéré) étaient bien plus solides que ce qu’on en disait en France. Les défenseurs français de Battisti n’en avaient cure et moquaient le fonctionnement du système judiciaire italien. On disait, par exemple, que Battisti avait été condamné pour deux meurtres commis au même moment dans deux villes différentes, accusation absurde, oubliant de préciser qu’il était dans ces deux cas accusé d’avoir été complice ou commanditaire, et non auteur, ce qui change tout. De même, on soulignait le fait que certains témoins à charge étaient des «repentis» qui avaient parlé en échange de remises de peine. Mais les dénonciations des repentis fournissaient souvent de réelles pistes aux enquêteurs pour être ensuite recoupées par la justice, ce qu’on passait évidemment sous silence. Aussi bien, Battisti avait été condamné en première instance, en appel, et la décision avait été confirmée en cassation, ce qu’on rappelait très rarement. Deux journalistes, Guillaume Perrault du Figaro, puis Karl Laske de Mediapart (et ancien de Libération) avaient étudié le dossier en détail et publié chacun un livre pour préciser les charges, sérieuses, qui pesaient sur Battisti. Ils furent peu repris…

La première page de Libération où le quotidien accuse le colonel Erulin d’avoir été un tortionnaire.

Ce qui conduit à une réflexion politique. Elle porte sur le rapport étrange qu’entretient une certaine gauche avec la démocratie. Les «années de plomb» ont ensanglanté la vie italienne pendant plusieurs années. La «guerre» déclenchée là-bas par les activistes d’extrême gauche s’appuyait sur une analyse en partie juste, mais au bout du compte fausse, de la démocratie en Italie. On la disait minée par des réseaux clandestins liés à l’extrême droite et à la CIA, ce qui était en partie vrai. Mais on en déduisait qu’elle n’était un jeu d’ombres, un décor Potemkine, manipulé en fait par des forces obscures plus ou moins liées à «l’impérialisme». Ce qui justifiait le recours à la lutte armée, autrement dit au terrorisme des Brigades rouges et de multiple groupes du même genre.

Dans un article paru le 27 mars, le journaliste Eric Jozsef écrit :

 

Arrivé à Paris, Cesare Battisti obtient un titre de séjour régulier, devient gardien d’immeuble puis romancier. Mais, en Italie, les condamnations par contumace tombent. En 1988, il a déjà été reconnu coupable d’avoir été l’un des chefs des PAC. En 1993, il est définitivement condamné à la réclusion à perpétuité pour quatre «homicides aggravés» sur la base de divers témoignages et surtout des déclarations de Pietro Mutti, un membre repenti du groupe. Cesare Battisti nie les faits, réfute la parole de Mutti et parle de déni de justice, notamment après 2001 quand le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin décide de mettre fin à la jurisprudence Mitterrand et d’extrader plusieurs ex-terroristes vers Rome.

Mais nombre d’intellectuels et d’artistes (dont Libération) se mobilisent alors pour défendre coûte que coûte le «révolutionnaire» et écrivain Battisti. Entre les attentats à la bombe, les enlèvements et les assassinats sur fond de luttes politiques et sociales, l’Italie – soutiennent-ils – aurait vécu dans les années 70 une «vraie guerre civile et sociale», selon l’expression de Philippe Sollers, nécessitant une forme d’amnistie. La plupart mettent surtout en avant l’idée que la France ne peut renier sa parole et livrer à l’Italie les ex-activistes, désormais rangés de la lutte armée. En 2004, le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, ira même apporter son soutien à l’écrivain provisoirement emprisonné à la prison de la Santé. D’autres, enfin, remettent en cause la légitimité de la magistrature transalpine, parlent de lois spéciales, dénoncent l’impossibilité de rejuger en Italie les condamnés par contumace et vont aussi parfois jusqu’à clamer l’innocence totale de Cesare Battisti, à l’instar de l’écrivaine Fred Vargas, qui assurait mordicus que celui-ci n’était «pas impliqué» dans les «attentats meurtriers des PAC».

Libération, le Journal officiel de la bien-pensance.

Sarcasmes

Selon les déclarations du procureur Alberto Nobili, reprises par le quotidien la Stampa, Cesare Battisti aurait finalement lâché durant son interrogatoire : «Je n’ai jamais été victime d’injustices. Je me suis moqué de tous ceux qui m’ont aidé, je n’ai même pas eu besoin de mentir à certains d’entre eux.» Une confession qui suscite aujourd’hui les sarcasmes de la classe politique et de la presse transalpines, qui n’ont jamais compris les appuis dont l’ancien terroriste a pu bénéficier à Paris, ni même les fondements de la «doctrine Mitterrand».

«Ce qui est le plus offensant, c’est que des gens qui n’ont pas vécu ce qu’ont vécu les Italiens se permettent si superficiellement de demander à l’Italie de mettre un voile sur notre histoire tragique», écrivait déjà en 2011 dans le Monde l’écrivain Antonio Tabucchi. Malgré la reconnaissance de ses responsabilités, Cesare Battisti ne pourra pas échapper à la réclusion. Mais d’ici quelques années, il pourrait obtenir des aménagements de peine.

Cesare Battisti durant son interrogatoire : «Je n’ai jamais été victime d’injustices. Je me suis moqué de tous ceux qui m’ont aidé, je n’ai même pas eu besoin de mentir à certains d’entre eux.»

Retrouver l’article de Libération en cliquant ici.
Photos DR et CC via Flickr d’ActuaLité, Ecario, FondaPol, Luc Legay.