Pour les médias, Steve Bannon est le grand « diable blanc » qui fait trembler de peur les tenants du conformisme politique et intellectuel. Quel rôle cherche-t-il à jouer l’ancien conseiller de Donald Trump dans le paysage politique européen ?

Dans un récent entretien accordé au Parisien, Steve Bannon a levé une partie du voile sur son rôle en Europe et plus particulièrement dans les élections européennes. Un extrait.

Avec Salvini, Le Pen et Orban, il y a désormais une alternative structurée. Le Pen a raison : la politique n’est plus divisée entre droite et gauche mais entre ceux qui pensent que l’État-nation doit être dépassé et ceux qui pensent que c’est un bijou.

Pourquoi êtes-vous à Paris ?

 

STEVE BANNON. Parce que de toutes les élections qui auront lieu le week-end prochain en Europe, y compris au Royaume-Uni avec Nigel Farage et son Brexit Party, c’est de loin, ici, en France, la plus importante. Pas de doute.

Pourquoi ?

Si vous remontez le temps, à l’été 2016, il y a eu le vote sur le Brexit, et puis la victoire de Trump. Mais en mai 2017, il y a pile deux ans, Macron a remporté une grande victoire sur Le Pen. Il l’a fait avec un positionnement mondialiste. Le mouvement populiste d’insurrection a été stoppé net par Macron, qui a été choisi par le « système ». La révolte nationale populiste semblait finie. Mais le week-end prochain, vous aurez une situation où Matteo Salvini, Marine Le Pen et Nigel Farage peuvent être à la tête de trois des quatre plus gros partis présents au Parlement européen. Tout a changé en deux ans. C’est pour cela que la France est si importante : je ne suis pas un fan de Macron mais il adhère à ce qu’il dit. Son discours de septembre 2017 à la Sorbonne était la conclusion logique du projet européen de Jean Monnet. Il veut les États-Unis d’Europe et a, de fait, pris la tête de la liste Renaissance : il n’y a même pas le visage de la tête de liste sur ses affiches ! C’est un référendum sur lui et sa vision pour l’Europe.

Il s’agit donc d’une revanche ?

Ne pensez pas cela ! Mais avec Salvini, Le Pen et Orban, il y a désormais une alternative structurée. Le Pen a raison : la politique n’est plus structurée entre droite et gauche mais entre ceux qui pensent que l’État-nation doit être dépassé et ceux qui pensent que c’est un bijou. Donc la semaine prochaine, les gens auront un vrai choix.

Pourquoi n’allez-vous pas à Milan (au rassemblement populiste de Salvini ce samedi) alors ?

Je voulais y aller mais vu comme les choses se déroulent en France, je serai plus utile ici où j’interviendrai dans les médias pour parler du RN. À Milan, les gens verront le potentiel d’un super-groupe, la possibilité de voir se réunir des voix qui étaient divisées dans différents groupes du Parlement européen. Tous ces gens à Milan ont beaucoup en commun. Peut-être plus en réalité que ceux qui soutiennent les États-Unis d’Europe. Parce que, eux, je ne les vois pas se réunir dans un grand rassemblement. L’élection européenne sera un tremblement de terre.

Je n’ai pas donné un sou au Rassemblement national, je leur ai donné beaucoup mieux : des méthodes pour lever plus d’argent auprès de leurs propres soutiens.

Il y a une polémique en France sur vos liens avec le RN. Leur avez-vous donné de l’argent ?

Non, pas du tout. Je n’ai jamais donné de capital et personne ne m’en jamais demandé. Je suis un conseiller informel, je ne me fais pas payer. Même avec Trump, j’étais bénévole. Ce que je fais en revanche, c’est faire des observations à certains partis et donner des conseils sur la levée de fonds. Vous savez, je suis un ancien banquier d’affaires chez Goldman Sachs. La clé, pour moi, est de s’adresser à sa propre base. Ce qui est déterminant, c’est le nombre de petits donneurs.

Le caricaturiste Plantu est toujours aussi subtil dans les pages du Monde.

l faut la majorité des voix en France pour être élue président. Le RN peut l’obtenir ?

Tout à fait, dans les deux années à venir, s’ils restent sur cette lancée…

Avec Marine Le Pen ou sa nièce, Marion Maréchal ?

Marion est fantastique, je pense qu’elle est l’une des personnes les plus importantes sur le plan mondial mais elle a dédié sa vie, pour quelques années, à créer son école. Et je pense que cette école aura un impact énorme. J’en ai une aussi en Italie, au monastère de Trisulti.

Il y a des liens entre les deux ?

Non, mais j’espère en créer. Mais revenons à Marine Le Pen. Elle a remonté le parti. Elle sera une candidate incroyable si c’est son choix à la présidentielle. Si Macron ne gagne pas le 26 mai prochain, la politique française sera réinitialisée. La course pour la présidence commencera le lendemain des européennes ! Vous aurez une campagne plus longue qu’aux États-Unis (rires).

La venue de Steve Bannon a donné l’opportunité à la gauche de sortir contre la droite le vieux canard du « parti de l’étranger ».

André Archimbaud, fin observateur de la vie politique américaine, écrit dans Boulevard Voltaire (extrait) :

Les Américains ne s’intéressent pas aux élections européennes, entre Russie, Venezuela, Iran, Chine, Corées et leur propre élection. Ils ont une vague idée, grâce aux interventions de Nigel Farage, que quelque chose se passe du côté du Brexit. Dans la même veine, ils viennent de découvrir avec surprise qu’il y a eu des élections en Inde et en Australie. Mais ils sont plus conscients des prochaines cérémonies du débarquement de Normandie, fidèles à l’idée que l’exceptionnelle Amérique a sauvé le monde libre.

Le New York Times a, cependant, gardé un œil sur l’Europe, titrant, ce 19 mai : « L’élection européenne va permettre de jauger le pouvoir du populisme. »

C’est aussi la conclusion de Steve Bannon qui, pour ses détracteurs, est le proconsul américain de l’Europe grâce à son « Mouvement », à moins qu’il ne soit – inspiré par Julius Evola, qu’il dit bien connaître – l’ambassadeur d’Eurasia (selon Orwell) auprès d’une Océania anglo-saxonne à reconvertir à la culture traditionnelle. Bref, Bannon semble voir ou prévoir quelque chose en cette prochaine élection européenne. Une sorte de « séisme » électoral et culturel qui résultera du fait que les « populistes » semblent mieux coordonner leurs actions et mettre de côté leurs contradictions en vue de leur reconquista.

Marine Le Pen  a remonté le parti. Elle sera une candidate incroyable si c’est son choix à la présidentielle. Si Macron ne gagne pas le 26 mai prochain, la politique française sera réinitialisée.

Le journal de gauche Libération ne pouvait pas passer à côté du phénomène Trump. Voici un extrait d’un article qui tente subtilement de dégonfler ses prétentions au leadership de la droite européenne. Extrait.

(…) il suffirait que le «populiste» s’installe dans une suite à plus de 2 000 euros au Bristol à Paris pour que les journalistes y fassent la queue et lui déroulent le tapis rouge. Et ce alors que Marine Le Pen, qui s’est affichée à ses côtés lors d’un congrès «refondateur» du FN (devenu ce jour-là RN) l’année dernière, vient encore de rappeler qu’il n’a «pas vocation à intervenir» dans la campagne pour les européennes. Un très proche de la présidente du parti d’extrême droite précise : «Bannon, je l’ai rencontré au congrès, puis je ne l’ai plus jamais revu. C’est bien la preuve qu’il a zéro influence. D’abord, il n’a aucune connaissance du pays, ne connaît pas nos subtilités politiques, ni en France ni en Europe.» Et d’assurer : «Penser qu’on puisse avoir besoin de lui, c’est mal nous connaître.» Ce proche précise que Bannon a atterri en Europe alors que l’extrême droite avait déjà le vent en poupe.

Bannon s’est malgré tout piqué d’occuper l’espace médiatique en France tandis que Marine Le Pen et Matteo Salvini organisaient un meeting commun en Italie avec leur future «coalition» des extrêmes droites au Parlement européen… où l’ex-conseiller de Trump n’a tout simplement pas été invité. Marine Le Pen en a rajouté : «Ceux qui l’intègrent dans la campagne, c’est vous les médias.» L’«Américain» viré en janvier 2018 du site ultraconservateur Breitbart bénéficierait-il en France d’une bulle médiatique ? Peut-être, mais il n’y a pas qu’ici… Fin mars, l’homme a eu droit à une certaine couverture à l’occasion d’une conférence à la bibliothèque Angelica à Rome. Evénement organisé par une obscure association «contre le politiquement correct» et pour les «informations non homologuées». Malgré son répertoire usé, ses considérations politiques confuses sur l’Europe, et sa théorisation des fake news, Bannon s’est fait traiter comme un ministre. Deux camions de police et vingt policiers s’étaient postés devant les lieux, et à l’intérieur, la salle était pleine de journalistes. «Pour s’asseoir, il fallait contourner un épais barrage de caméras», explique l’hebdomadaire Internazionale, qui a relaté les coulisses de ce «monologue de quarante minutes rempli de tous les éléments de langage du populisme international». Tout cela pourrait être la conséquence d’une stratégie mise en place par Bannon et son associé belge Mischaël Modrikamen, à l’origine de The Movement, l’association politique montée pour tenter de peser sur le cours des élections européennes. Et, à plus long terme, intégrer les cercles populistes de l’UE.

Le journal de gauche Libération ne pouvait pas passer à côté du phénomène Trump.

Le message de Steve Bannon est-il en train de passer ? La récente réunion à Milan des têtes de file des principaux partis patriotiques en est la preuve, une dynamique se met en marche.

Le verdict des urnes dimanche prochain sera le véritable test de cette politique d’union des patriotes. c’est aux citoyens de décider.

 

Retrouvez l’article du Parisien en cliquant ici, la tribune d’André Archimbaud dans Boulevard Voltaire en cliquant ici et l’article de Libération en cliquant ici.
Photos DR via Twitter et CC via Flickr de Gage Skidmore et Nordiske Mediedager.

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