Le sacrifice de deux soldats français au cours d’une opération destinée à sauver des touristes imprudents a soulevé une vague d’émotion en France. Ces deux morts rappellent opportunément que nous devons avoir une armée puissante et adaptée aux différentes menaces qui cherchent à nous nuire.

Le journaliste spécialisé en questions militaires Jean_Marc Tanguy présente ainsi brièvement l’opération :

En quasi-autonomie, le commandement des opérations spéciales a mobilisé dans la nuit du 9 au 10
mai une partie conséquente de ses moyens aériens en propre dans la sous-région, et une fraction de sa capacité commando. Outre le commando Hubert, au moins une équipe des forces spéciales terre a été utilisée par l’état-major de la task force Sabre, implanté sur place.

Cet état-major de plusieurs dizaines de spécialistes peut concevoir et conduire des opérations approuvées par Paris, ce qu’il a fait en des dizaines d’occasions depuis 2010. Libération d’otages, français comme étrangers (néerlandais, africains), ou neutralisation de chefs djihadistes, il est donc rompu à ce type de missions.
Afin d’assurer l’appui renseignement et héliporté, au moins deux Reaper de l’escadron de drones1/33 Belfort ont été utilisés, soit les deux tiers de la ressource disponible à Niamey (le Reaper accidenté ne semble toujours pas avoir été remplacé). Le Belfort est un partenaire désormais indissociable des opérations de la TF Sabre, offrant une capacité de détection puis de tracking de l’adversaire, capacité disponible pour les opérateurs sur place, pour le PC de Sabre, et pour l’échelon parisien.

Une demi-douzaine d’hélicoptères du 4e RHFS (Cougar, Tigre, Gazelle) et de l’EH 1/67 Pyrénées (Caracal) ont été utilisés, et une patrouille de Mirage 2000 de la base aérienne projetée était également prête à servir.
Au total, selon le porte-parole de l’état-major des armées, une « dizaine » d’aéronefs étaient sur le pont dans la nuit de l’opération. Cette source confirme aussi mes informations d’hier évoquant l’engagement d’un module de chirurgie vitale (MCV), équipement qui permet de créer une salle d’opérations stérile au beau milieu du désert. Ce MCV a été mis au point conjointement par le COS et les équipes du SSA, pour des situations d’isole

La Task force Sabre, les forces spéciales françaises au Sahel, Jean-Marc Tanguy, Éd. Histoire & Collections, 132 pages, 25 €.

Jean-Marc Tanguy a répondu aux questions de Valeurs actuelles sur les forces spéciales françaises (extraits) :

Valeurs actuelles. Pourquoi ce livre sur les forces spéciales ?
Jean-Marc Tanguy. J’ai eu l’opportunité de pouvoir réaliser un reportage sur les forces spéciales françaises au Sahel en décembre dernier. J’en ai fait profiter les deux magazines qui m’emploient, RAIDS et RAIDS Aviation, destinés à des publics avertis, mais le volume de photographies amassé pendant le reportage permettait largement de nourrir un beau livre. Et dans ceux que j’avais écrits par le passé, la plupart des contenus s’adressaient à des publics de passionnés. Cette fois-ci, j’ai eu l’envie de pouvoir faire un ouvrage de pure vulgarisation. De faire mesurer aux Français qui ne connaissent pas forcément l’existence de cette unité le travail qu’elle réalise, les risques encourus. Par-delà les simples brèves qu’on lit ou entend régulièrement, signalant la mort d’un soldat français. Et ce livre peut aussi contribuer à faire mesurer aux familles de ces commandos ce qu’ils vivent en mission.

Le ministre de la Défense et le chef d’Etat-Major détaillent les circonstances du drame.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en opérations ?
La même chose que quand je les suis en France : ce sont des humains comme nous. Ils paient le prix de leur engagement dans leurs corps, parfois dans leur tête. Ils ont besoin d’être compris, soutenus par le monde extérieur. Leur absence pèse à leurs proches. Il leur est difficile, voire impossible de restituer ce qu’ils font en opérations. Leurs missions ne sont pas secrètes, seulement discrètes. Ce sont les modes opératoires, les protocoles qui sont secrets, car ce sont les fondements du coup d’avance qu’ils conservent sur leurs adversaires.

Ce qui est aussi sidérant pour celui qui les observe, et doit l’être aussi, pour d’autres raisons, pour leurs adversaires, est l’intégration parfaite des opérateurs. Une chenille d’opérateurs du 1er régiment parachutiste d’infanterie de marine ou du commando Jaubert coulisse parfaitement. Chacun sait où est sa place. C’est un rouleau compresseur, et pourtant, tout est fait avec doigté. Presque scientifiquement. Idem pour les équipes de recherche du 13e régiment de dragons parachutistes, qui cumule rusticité et capacité d’analyse.

Cédric Pierrepont (à gauche) et Alain Bertoncello (à droite) photographiés en opérations en Afrique.

Qu’est-ce qui distingue les forces spéciales françaises des unités de même nature d’autres pays ?
Il m’est difficile de comparer par les déploiements en opérations. Il est rare, de fait, que des étrangers puissent vraiment toucher de près la réalité de forces spéciales d’un pays. Le vice-amiral Laurent Isnard a permis que cela se fasse, au Sahel, et je l’en remercie pour nos lecteurs, et ceux comme celles qui découvriront le livre.

Mais on peut néanmoins constater que les forces spéciales françaises ont désormais atteint un niveau d’expérience et d’expertise très envié. Elles sont aussi très déployées, comparées à leurs homologues américaines. C’est une vraie pointe de diamant dont la France peut être fière. Le président Macron ne s’y est pas trompé, en leur consacrant une partie de son temps en novembre dernier, quand il était passé dans la capitale du Burkina-Faso. Sans presse, il a pu s’imbiber de ces combattants d’exception, en les visitant dans leur base-arrière. Clairement, c’est le premier chef des armées à s’intéresser autant à ces hommes et femmes et sans doute, à mesurer leur plus-value.

L’insigne du commando Hubert.

Le quotidien Le Monde a lui aussi consacré beaucoup d’espace à cette opération.

Un responsable français explique au Monde que, lorsque l’opération militaire a été déclenchée, les otages étaient « en transit au Burkina Faso, l’intention des ravisseurs étant de les emmener au Mali ». Son déroulé a été développé lors d’une conférence de presse par le général Lecointre. Les autorités françaises suivaient l’évolution des ravisseurs depuis plusieurs jours. « Dès l’annonce de la disparition des deux Français, il y a eu, par des moyens de la Direction du renseignement militaire [DRM], avec l’appui de nos alliés américains et en liaison avec les Burkinabés, un ensemble de moyens mis en place pour acquérir du renseignement », a-t-il détaillé.

Une traque de trois jours

Une mise en place « complétée par une opération discrète menée le 7 mai par les forces spéciales françaises ». La traque a alors commencé au nord du Burkina et sur de longues distances. Tant que le convoi était mobile, « il était impossible d’agir », a ajouté le haut responsable militaire. Jeudi, le commandement des opérations spéciales a vu les ravisseurs faire halte et a préconisé d’intervenir. L’ordre du président de lancer le raid est intervenu dans la soirée.

Les commandos ont saisi l’opportunité de frapper en raison du risque « de transfèrement de ces otages à une autre organisation terroriste qui agit au Mali et qui est la katiba Macina », ce qui aurait dès lors « rendu impossible d’organiser une quelconque opération de libération », a assuré l’état-major. L’opération a donc été décidée sous forte pression, et son tempo accéléré brutalement. « Nos meilleurs éléments ont été engagés », a salué Florence Parly, évoquant « une opération de très grande complexité, d’une rare difficulté ».

Les militaires français se sont infiltrés « dans une zone découverte, par nuit noire sur 200 mètres, malgré la présence d’une sentinelle » en se dirigeant vers les quatre abris du campement, a relaté l’état-major. Ils ont été détectés à une dizaine de mètres, entendant clairement les ravisseurs armer leurs armes, « et ont décidé de monter à l’assaut sans ouvrir le feu pour éviter les pertes parmi les otages ». C’est alors que les deux soldats Pierrepont et Bertoncello ont été tués, chacun dans un abri, presque à bout touchant. Deux ravisseurs se sont enfuis et quatre autres ont été abattus.

Cédric de Pierrepont, une belle figure française.

La katiba Macina, un groupe djihadiste malien

Selon un responsable français, les commanditaires de cette prise d’otages appartenaient à la katiba Macina, un groupe djihadiste actif dans le centre du Mali. En novembre 2018, l’armée française avait annoncé avoir « probablement »tué son chef, Amadou Koufa. L’information avait ensuite été confirmée par le gouvernement malien, puis démentie par les faits : Amadou Koufa est réapparu dans une vidéo, et un dernier message diffusé début mai sur les réseaux sociaux lui est encore attribué.

A la tête de la katiba Macina, ce prédicateur radical est devenu ces dernières années une figure du djihadisme au Mali, et par extension au Sahel. Plus qu’un chef militaire, Amadou Koufa – un pseudonyme – est un guide spirituel, catalyseur des frustrations des jeunes de sa région, principalement issus de la communauté peule, frustrations exploitées pour le projet djihadiste global. Agé d’une soixantaine d’années, il est devenu en janvier 2015 le fer de lance de l’insurrection islamiste dans le centre du Mali, désormais principal foyer de tensions de la région. En 2018, plus de 500 civils y ont été tués selon les Nations unies.

Fiacre Gbédji, le guide béninois qui a perdu la vie entre les mains des terroristes.

Début mars 2017, il apparaît aux côtés du Touareg malien Iyad Ag Ghali et de ténors d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Al-Mourabitoune, sur une vidéo entérinant la fusion de leurs mouvements au sein du Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM). Tous ces hommes se placent alors sous le commandement d’Iyad Ag-Ghali, confirmant une nouvelle fois la stratégie d’ancrage local voulue par les chefs algériens d’AQMI.

Une forme de consécration d’Amadou Koufa intervient le 8 novembre 2018 avec la publication d’une nouvelle vidéo de propagande où, cette fois, l’homme n’est plus en retrait mais face caméra, flanqué de son mentor et de l’Algérien Djamel Okacha, qui aurait été tué en février par l’armée française. Le prédicateur accuse alors la France d’avoir envoyé « ses chiens dans le Macina » mais, surtout, son message est pour la première fois clairement destiné à rallier à la cause djihadiste, bien au-delà de sa région, les Peuls « massacrés parce qu’ils ont élevé le drapeau de l’islam ». « J’en appelle aux Peuls, où qu’ils se trouvent : au Sénégal, au Mali, au Niger, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Nigeria, au Ghana et au Cameroun », intime-t-il en fulfulde.

La cour d’honneur des Invalides, le lieu du recueillement national.

Sur Boulevard Voltaire, l’ancien député Christian Vanneste ne mâche pas ses mots :

La France, la première, est toujours capable d’héroïsme et d’action victorieuse, et l’efficacité de son armée, malgré des moyens limités et des missions de plus en plus nombreuses, vient encore de s’afficher. Mais on ne peut que constater l’indécence du bilan : deux militaires de haute valeur, expérimentés, malgré leur relative jeunesse, formés par des années d’entraînement d’un niveau exceptionnel, ont vu leurs destins brisés, ont laissé des familles endeuillées pour sauver deux touristes qui n’avaient rien à faire à la frontière du Bénin et du Burkina Faso, ce pays confronté au terrorisme islamiste depuis début 2016. Ils voulaient des photos. Ils en ont : celles des deux soldats d’élite morts pour les sauver. Leur retour dans un avion de la République, leur accueil officiel par le Président et deux ministres étaient tout-à-fait déplacés. On peut imaginer que M. Macron n’a pas voulu se priver de la page de pub prévue lors d’une opération précipitée, on espère, par autre chose que le calendrier. Ces deux personnes étaient en Afrique pour des raisons privées et ludiques : il ne s’agissait ni de médecins, ni de journalistes, ni d’employés d’une entreprise travaillant en Afrique. Une fois libres, on aurait dû les conduire à l’aéroport et leur faire acheter leur billet de retour !

Des troupes capables de combattre avec un équipement léger.

C’est encore M. Macron – lequel a évité le service militaire – qui va, avec ses intonations théâtrales habituelles, prononcer un éloge funèbre aux Invalides. Tout cela sonne faux. On aimerait que les hommes qui décident du destin des autres aient, dans leur vie, montré qu’ils étaient à la hauteur des sacrifices qu’ils réclament des autres. Lorsqu’un gouvernant prend une décision qui engage des vies, on voudrait être sûr qu’il pense à l’intérêt supérieur du pays plus qu’à l’effet sur l’opinion. Il est vrai que les militaires, et notamment ceux des troupes d’élite, ont un idéal qui les porte à considérer le risque mortel comme un devoir. Pour autant, personne n’a le droit de gaspiller ces consciences rares et précieuses. Elles sont au service du pays, de son peuple, et non à la merci de calculs politiciens. Le terrorisme islamiste s’est répandu dans tout le Sahel en raison de la politique tortueuse menée par notre pays en Libye. 28 soldats français sont morts au Mali voisin dont l’instabilité est toujours perceptible, favorisée par les trafics en tous genres depuis la Libye. Il ne fallait pas que les otages passent la frontière malienne ? Un pays où l’armée française est présente ! 90 militaires français ont été tués en Afghanistan, dans un tout autre secteur d’opérations, sans que la sécurité ait été rétablie dans ce pays où l’on craint le retour des talibans au pouvoir !

Un soldat des forces spéciales françaises en Afrique. La photo transmet bien le style péchu de ces troupes.

Et Christian vanneste de conclure :

Et lorsque nos soldats regagnent la France, ils voient celle-ci telle qu’elle devient : une France qui se décompose en communautés, d’une part grâce à une immigration accueillie les bras ouverts et les yeux fermés, d’autre part par un repli sur soi narcissique, où disparaît le patriotisme indispensable à la survie d’un pays. Ce patriotisme est la flamme qui animait Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, et qui animera toujours leurs compagnons d’armes.

Deux personnels des forces spéciales françaises en Afghanistan.

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Photos DR et CC via Flickr

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