Dans une tribune publiée par Libération, Alain Policar plaide pour un accueil sans restrictions des migrants au nom des valeurs de la gauche. La recette parfaite pour le suicide politique de cette gauche antinationale.

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Au nom de la rigidité idéologique, les intellectuels de gauche en oublient les intérêts des travailleurs français et ceux de la France. Pour ces bobos guerriers de papier, la nation n’existe pas, pas plus que les frontières. Rien ne doit s’apposer à l’arriver massive des étrangers même au prix de la disparition de notre pays. La recette d’un suicide annoncé.

Voici un extrait de la tribune.

Alors que se développent, à gauche, des discours antimigrants, fondés «théoriquement» sur la préservation des droits des travailleurs autochtones, lesquels seraient menacés par l’arrivée de populations étrangères pauvres exerçant une pression à la baisse sur les salaires (1), il convient de dire pourquoi on ne peut être de gauche et, sous prétexte de protéger le prolétariat national, entretenir la méfiance et, au-delà, la xénophobie envers les migrants.

Je ne reviendrai pas ici sur les arguments strictement économiques développés, à rebours de cette vision simpliste, par le rapport de la Drees (ministère des Solidarités et de la Santé) de 2010 ou encore en 2011 par le Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), particulièrement instructif puisqu’il émet l’hypothèse que les flux migratoires, plutôt que de remettre en cause nos acquis sociaux, pourraient sauver notre système de protection sociale, ou, enfin, en juin 2018, par l’étude publiée dans la revue scientifique Science Advances. Les enseignements de ces travaux sont certes précieux, mais j’entends ici me placer sur le seul terrain de la philosophie politique. Il sera donc question de montrer en quoi une politique de l’accueil est requise, une politique qui ne serait pas induite par le calcul économique ou par une éthique naïve fondée sur l’absence naturelle d’hostilité entre les hommes. L’accueil doit être compris comme l’élément central d’une théorie de la justice globale, autrement dit d’une cosmopolitique.

Un tel projet se heurte immédiatement au soupçon d’irénisme. Les frontières seraient une propriété nationale durement conquise, dont il conviendrait, à l’instar de Régis Debray (et de l’ensemble des souverainistes), de faire l’éloge. Cette obsession des frontières se débarrasse difficilement des passions nationalistes, et cette seule réalité incite à la prudence. Et, de surcroît, la défense de la nécessité des frontières n’est opposable qu’à ceux qui prônent leur abolition. Or, ce n’est pas être infidèle aux exigences de l’hospitalité que de ne pas adopter la position abolitionniste.

Cette dernière a pourtant de solides arguments. C’est en effet contre l’arbitraire de la naissance que se sont fondés les progrès de l’égalité politique au sein des nations. Au nom de quel principe devrait-on limiter ces progrès aux frontières nationales, d’autant que l’on ne peut invoquer un quelconque fondement rationnel ayant conduit au partage des habitants de la Terre en communautés différenciées ? Cette contingence historique, en outre, ne s’est guère préoccupée de la liberté des peuples.

Ni naturelles ni définitives, les frontières reçoivent néanmoins une légitimation rétroactive, dans la mesure où les pratiques démocratiques constituent progressivement une communauté politique à laquelle on accorde généralement une valeur morale (même lorsqu’elle est le résultat d’une histoire injuste). De cette communauté, est-il néanmoins acceptable d’exclure les non-citoyens concernés, migrants ou demandeurs d’asile, lesquels sont évidemment affectés par les choix et les actions des citoyens ? Toute réponse à cette question doit tenir compte du fait que le monde est, comme le rappelait le regretté Etienne Tassin, «né des migrations, des exils et des transgressions qui ont donné naissance aux pays, aux frontières, et aux peuples qui les habitent». Bref, on voit bien que si l’on définit une frontière comme une limite géographique et politique, elle perd toute valeur morale.

Dès lors, plutôt que sur la base d’un territoire partagé, d’une histoire ou d’une nationalité communes, le dèmos doit être envisagé sur celle de nos intérêts entremêlés : les personnes affectées par une décision donnée doivent pouvoir participer à la prise de décision collective. Le point de vue cosmopolitique correspond donc à une ouverture de la frontière politique, et il se conjugue avec la nécessité d’une politique des migrations qui se départirait des seuls intérêts de l’Etat national. L’absence de «privilège ontologique» de la frontière nationale signifie qu’elle ne constitue pas un marqueur pertinent par nature sur toutes les questions politiques. Mais cette relativisation ne suppose pas que la compétence de l’Etat soit amenée à disparaître, l’existence de nouveaux espaces de délibération ne conduisant pas nécessairement à la disparition des espaces antérieurs. La frontière ouverte (ou poreuse) suppose bien entendu la reconnaissance de celle-ci. Cette perspective cosmopolitique sur la frontière souligne que la citoyenneté mondiale n’est pas, contrairement à ce que ses critiques affirment, une pure abstraction coupée du réel.

(…)

Les communautés de destin, en réalité, débordent les frontières et ceux qui en font partie ne possèdent pas, le plus souvent, les moyens de peser sur les choix politiques qui les affectent. Il convient dès lors de repenser la communauté du point de vue de l’accueil en prenant acte du fait que la constitution d’un monde commun ne peut advenir, il est trivial de le rappeler, qu’entre ceux qui n’ont au départ rien en commun, autrement dit entre étrangers. Etienne Tassin parlait suggestivement de xénopolitique, définie non comme une politique qui s’adresserait aux étrangers mais une politique qui se mêle aux étrangers. L’enjeu est ainsi d’assembler ceux que rien ne prédispose à se lier. C’est pourquoi faire de l’hospitalité la condition et la fin de toute politique implique une certaine indifférence nationale, que l’on définira, non comme le refus de nos fidélités singulières, mais seulement comme celui d’une appartenance exclusive.

Notre expérience ordinaire du monde est celle des migrations. Patrick Chamoiseau ne définit-il pas l’être humain comme Homo migrator ? Expérience qui nous impose de considérer le sort réservé aux migrants, c’est-à-dire de combattre les représentations qui les décrivent comme ceux qui violent les frontières et bouleversent l’ordonnancement des nations. Ne pas adopter un tel état d’esprit, c’est instaurer une indéfendable séparation, contraire au principe d’égalité morale des êtres humains, entre ceux qui jouissent de droits politiques et ceux qui, privés de ceux-ci, sont livrés à l’inhospitalité. Est-il possible de rester de gauche si l’on ne se place pas résolument dans cette logique

 

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Photo CC Montecruz via Flickr. Retrouvez l’inégralité de la tribune dans les colonnes de Libération en cliquant ici.