La Russie offre à sa jeunesse la plus défavorisée la possibilité de sortir de l’ornière en acquérant des vertus militaires au sein de l’« Armée des jeunes ».

Rien de plus amusant que de lire les contorsions alambiqués des bobos de Libération à l’heure de juger la politique russe. Cet intéressant reportage de Lucien Jacques présente le fonctionnement de l’Armée des jeunes, la Younarmia, initiative du gouvernement pour offrir une voie de sortie à des jeunes souvent dans des milieux défavorisés dans une ambiance générale de patriotisme retrouvé.

Voici un extrait de l’article à retrouver en entier dans les colonnes de Libération.

 

L’avion est un Antonov-2 hors d’âge, un de ces biplans soviétiques increvables qui ont transporté des parachutistes pendant la Seconde Guerre mondiale, ravitaillé les troupes en Afghanistan, répandu de l’engrais sur les champs de maïs de l’époque Khrouchtchev et entraîné des générations de pilotes amateurs russes. Il sort en vrombissant de son hangar de tôle, dans un petit aéroport de la région de Moscou, à Volosovo, à deux heures de train de la capitale russe. La fumée du moteur se condense dans l’air glacial. Une bande d’enfants monte à bord. Ils ont entre 15 et 18 ans, emmitouflés dans leur veste militaire, sanglés à un parachute deux fois plus grand qu’eux. Sur la tête, un casque d’aviateur en cuir. Quelques minutes plus tard, l’avion s’élève dans le ciel en cercles concentriques, et les gamins sautent les uns après les autres. Ils sont tous membres de Younarmia, «l’armée des jeunes» en russe : un mouvement de jeunesse créé en juillet 2016 sous l’égide du ministère de la Défense.

Opportunités

L’organisation définit ainsi ses propres objectifs : «Eduquer la jeunesse à partir de 8 ans dans un esprit patriotique, leur enseigner l’héritage militaire de la patrie, développer leur esprit collectiviste et les principes moraux propres au peuple russe, motiver et préparer les jeunes gens à effectuer leur service militaire.» Younarmia recrute ses membres dans les écoles, via les clubs d’activités périscolaires.

A peine au sol, les gosses replient leur parachute en quelques gestes experts. Ce n’est pas leur premier saut, explique Konstantin, leur instructeur, la quarantaine joviale, qui les couve du regard avec fierté. Pour lui, pas question de militarisme ou d’embrigadement idéologique. «C’est une opportunité pour ces gosses, explique-t-il. Une chance de sortir de chez eux, de découvrir des activités, des choses qu’ils n’auraient pas pu faire autrement.»

Les participants sont tous enthousiastes. Andreï, 16 ans, tignasse blonde ébouriffée par son casque, a déjà une dizaine de sauts à son actif. Pour lui, sans Younarmia, pas de parachutisme. Le fait est que les jeunes de ce rassemblement ne sont pas généralement issus des classes favorisées des grandes villes russes et que cette organisation leur offre des opportunités de loisirs et de formations inaccessibles autrement : sports extrêmes, premiers secours, découvertes professionnelles en tous genres (journalisme, aéronautique, audiovisuel…), séjours dans toute la Russie – y compris la Crimée… Difficile pourtant de prétendre que Younarmia ne serait qu’une gigantesque colonie de vacances à thème militaire.

A tue-tête

Autre jour, autre rassemblement : le 7 novembre, pour l’anniversaire de la bataille de Moscou en novembre 1941, les jeunes de Younarmia ont participé au défilé organisé sur la place Rouge, au milieu des soldats en uniformes d’époque sur fond de marches militaires de la «Grande Guerre patriotique» (le nom donné en Russie à la Seconde Guerre mondiale). Tous les 23 février, à l’occasion de la «Fête des défenseurs de la Patrie», ils sont également invités à un rassemblement annuel au «Park Patriot», un immense lieu de loisirs de la banlieue de Moscou entièrement consacré à l’armée russe, son histoire, ses missions et ses équipements. Pendant toute une journée, vêtus de leur uniforme beige et de leur béret rouge vif, ils écoutent des discours du ministre de la Défense, rencontrent des soldats, s’initient au tir à la kalachnikov, le tout sous des bannières géantes à l’effigie de Vladimir Poutine. Des chœurs d’enfants y chantent à tue-tête des airs patriotiques à la gloire de l’armée russe. «Il n’y a pas d’âge pour aimer son pays», commente simplement Nastia, 17 ans.

Les passerelles entre Younarmia et l’armée russe sont évidentes. Ses membres bénéficient de facilités pour intégrer les «classes militaires» à l’université, dans lesquelles les études se doublent d’une formation d’élève-officier. D’ailleurs, le jeune Andreï se destine à une carrière dans les troupes aéroportées. Pourquoi une telle organisation, dont le budget n’a pas été dévoilé par Moscou ? Les besoins en personnel de l’armée russe, en pleine phase de modernisation et de professionnalisation, ne suffisent pas à expliquer un tel effort, massivement relayé par les médias nationaux. Younarmia n’a pas seulement vocation à fournir des cadres à l’armée : elle participe surtout de la montée en puissance d’une ligne idéologique conservatrice, qui fait la part belle au militarisme. «La doctrine stratégique russe édictée en 2016 identifie parmi les risques auxquels la Russie est confrontée une « division potentielle » de la société, qui pourrait être exploitée par des puissances hostiles. C’est le spectre toujours présent des révolutions de couleur, explique le directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe, Igor Delanoë. Les initiatives comme Younarmia visent à cimenter la société russe, et le discours militariste et patriotique fonctionne très bien en Russie.»
(…)

Matraquage

Des organisations, comme la Société russe d’histoire militaire, créée en 2012 sur ordre de Vladimir Poutine, célèbrent aussi bien la victoire sur Napoléon en 1812 que celle sur l’Allemagne nazie en 1945 ; et le discours officiel fait des «hommes polis» engagés en Crimée ou du corps expéditionnaire russe en Syrie leurs héritiers directs. Ainsi, des unités de l’armée contemporaine nommées d’après des batailles de la Seconde Guerre mondiale cohabitent avec des régiments portant des appellations de l’époque impériale. Même l’Eglise orthodoxe, persécutée durant l’ère soviétique, est maintenant régulièrement mise en scène au côté de l’armée russe.

Le ministère de la Culture, pour sa part, subventionne généreusement les superproductions nationales consacrées à la Seconde Guerre mondiale : la Bataille de Sébastopol en 2015, les 28 de Panfilov en 2016, l’Invincible cette année, dont la sortie est prévue au mois de décembre… alors que le film franco-britannique la Mort de Staline s’est vu refuser en janvier son visa d’exploitation en Russie au prétexte qu’il donnait «une mauvaise image des héros de la Grande Guerre patriotique». Résultat de ce matraquage : si en 2010, d’après une étude de l’institut de sondages russe FOM, seuls 22 % des citoyens jugeaient le métier de soldat «prestigieux», en 2018, ils sont 60 %. Les effectifs de Younarmia, quant à eux, sont passés de 26 000 jeunes en 2016 à plus de 230 000 en mai 2018.

Retrouvez l’intégralité de l’article dans les colonnes de Libération en cliquant ici.

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